Julie Bertuccelli

Biographie

Née en 1968, après des études de Philosophie, Julie Bertuccelli devient, pendant une dizaine d’années, assistante à la réalisation sur de nombreux longs métrages, téléfilms et courts-métrages auprès d’Otar Iosseliani, Rithy Panh, Krysztof Kieslowsky, Bertrand Tavernier, Emmanuel Finkiel, Jean-Louis Bertuccelli, Christian de Chalonge, René Féret, Pierre Etaix…

Puis à la suite d’une initiation à la réalisation documentaire en 1993 aux Ateliers Varan, elle réalise entre 1993 et 2008 une quinzaine de documentaires pour Arte, France 3 et France 5 dont Un métier comme un autre, Une liberté !, Bienvenue au grand magasin, Otar Iosseliani, le merle siffleur, Le Mystère Glasberg,…

Son premier long-métrage de fiction tourné en Géorgie, Depuis qu’Otar est parti… (2002), a été couronné par une vingtaine de prix en France et à l’étranger dont le Grand Prix de la Semaine de la Critique au Festival de Cannes, le César de la meilleure première œuvre, le Prix Marguerite Duras et le Prix Michel d’Ornano à Deauville.

L’Arbre est son deuxième long-métrage de fiction tourné en Australie avec Charlotte Gainsbourg, en sélection officielle au festival de Cannes, sorti en 2010 en France et trois fois nominé aux Césars.

Son documentaire La Cour de Babel, sorti en salles en mars 2014, a été sélectionné dans de nombreux festivals comme ceux de New York, Rome, Abu Dhabi, Sheffield, Rio, Montréal, Tokyo, Le Caire, San Francisco… Nommé aux César et sacré Meilleur documentaire des Trophées francophones du cinéma.
Elle sort ensuite en salles son documentaire Dernières nouvelles du cosmos (2016), qui a reçu le Grand prix du FIFA à Montréal, le Prix du Public des Rencontres du Cinéma Documentaire à Montreuil et le Prix du meilleur documentaire d’Acaya à Lecce, et a été nominé aux César et aux Lumières de la Presse Internationale.

Son dernier long-métrage de fiction, La dernière folie de Claire Darling, avec Catherine Deneuve et Chiara Mastroianni, est sorti en salles en février 2019 et a été vendu dans une trentaine de pays.
Présenté l’an dernier au Festival de Cannes en sélection officielle à Cannes Classics son documentaire Jane Campion, la Femme Cinéma, après le FEMA, St Tropez et Play it Again, entame une grosse tournée dans les festivals étrangers.

Elle est en cours de réalisation d’un documentaire pour France 2, L’Odyssée des enfants d’Ulis (Titre provisoire).

Julie Bertuccelli co-dirige le Département Réalisation à la Fémis et préside la Cinémathèque du Documentaire qu’elle a initiée, après avoir été Présidente de la SCAM (première femme élue à cette fonction de 2013 à 2015 puis de 2017 à 2019) et co-présidente de l’ARP en 2016.

Filmographie 

1993 Un métier comme un autre (court-métrage)
1994 Une liberté ! (court-métrage)
1998 La fabrique des juges
1999 Bienvenue au grand magasin (série documentaire)
2000 Voyages, voyages : les îles Eoliennes
2002 Un monde en fusion
2003 Depuis qu’Otar est parti… (fiction)
2006 Otar Iosseliani, le merle siffleur
2008 Antoinette Fouque, qu’est-ce qu’une femme ?

2008 Le mystère Glasberg
2010 L’Arbre (fiction)
2014 La cour de Babel
2016 Dernières nouvelles du cosmos
2019 La dernière folie de Claire Darling (fiction)
2022 Jane Campion, la Femme Cinéma
2023 L’Odyssée des enfants d’Ulis (en cours de montage – titre provisoire)

Divers et films de commande

Un dimanche en Champagne (1995), Le jongleur de Notre-Dame (1995), Saint-Denis, les couleurs de la ville (1996), Trait d’union (1996), Acteur/objet (2007), Cinéma en herbe (2020)

Assistante à la réalisation

Je suis mort de Jean-Pierre Vuillaume, Six compagnons, Salut les homards -assistante de production, Souris noire de Pierre Etaix (1988-90), Aujourd’hui peut-être de Jean-Louis Bertuccelli, Kaminsky, un flic à Moscou de Stéphane Kurc – assistante de production (1990), La chasse aux papillons d’Otar Iosseliani, Promenade d’été de René Feret (1991), Les trois couleurs : bleu, blanc, rouge de K. Kieslowski, Prêcheur en eau trouble de Georges Lautner (1992), Le clandestin de Jean-Louis Bertuccelli, Les dessous du Moulin Rouge de Nils Tavernier (1993), Madame Jacques sur la croisette d’Emmanuel Finkiel, L’Appât de Bertrand Tavernier (1994), Le bel été 1914 de Christian de Chalonge (1995), Brigands, Chapitre VII d’Otar Iosseliani -1995-96), Un soir après la guerre de Rithy Panh (1996-97).

Entretien

Mes films témoignent de ma vision du monde, de ma foi en l’humanité mais aussi de mon aversion pour l’oppression sous toutes ses formes, et de mon ardent désir de liberté

Depuis toute petite je vis par et avec le cinéma. Mon père était réalisateur, toute sa vie tournait autour du cinéma. Je me souviens avoir sauté sur les genoux de Chaplin dans sa maison de Vevey. J’allais sur les plateaux, j’étais fascinée. Mais je voyais aussi les moments d’angoisse, lorsque mon père galérait, doutait, l’énergie qu’il mettait pour mobiliser l’équipe. Je sentais que c’était un métier passionnant mais difficile.

Cette fascination pour les plateaux m’a conduit très vite à m’investir dans le cinéma à mon tour. Je suis devenue assistante et j’aimais cela : ça correspondait à mon tempérament, veiller sur tout, tout le temps. J’ai côtoyé de très grands réalisateurs auprès de qui j’ai appris le métier. Imaginez la chance d’approcher au plus près Kieslowski, Tavernier, Pierre Étaix, nouer de fortes relations avec Otar Iosseliani, Rithy Panh, Emmanuel Finkiel… Passer du temps avec eux, voyager avec eux… Leur approche et leurs méthodes très différentes m’ont apporté beaucoup.

Mais peu à peu, j’ai ressenti une sorte d’étouffement, l’impression d’un réel trop éloigné, que l’on prenait tant de soin à refabriquer. C’est là que j’ai eu envie de me tourner vers le documentaire, le réel sous une forme brute. Partir à la rencontre de l’autre, observer la vie et le monde. Le documentaire permet aussi d’autres rencontres avec des personnes que l’on n’aurait jamais rencontrées. Comme je suis plus portée sur la pratique que sur la théorie, assez naturellement, je me suis tournée vers les Ateliers Varan qui sont les seuls à proposer une formation de réalisation à partir de la fabrication d’un film de bout en bout. J’ai fait un film sur un groupe de fossoyeurs. Et d’autres projets m’ont poussé dans la foulée à enchaîner les films pour la télévision et me permettre de gagner ma vie. Puis j’ai eu envie d’aller plus loin dans l’intime, et je me suis dit que la fiction pouvait me le permettre.

Après plusieurs documentaires, j’ai voulu davantage explorer ce qui se passait dans le for intérieur des êtres auxquels je m’attachais. C’est comme ça que je me suis plongée dans Depuis qu’Otar est parti…, inspirée d’une histoire vraie que l’on m’avait racontée mais à laquelle j’ai intégré des choses de ma vie et des éléments que j’avais observé en Géorgie, en travaillant avec Iosseliani. J’ai trouvé une cohérence entre plein de choses et j’ai pris un plaisir immense à faire ce film. Je pense qu’il est porteur de ce plaisir, de cette passion pour tout ce que j’avais traversé.

Le plus souvent, ce sont des rencontres qui me donnent envie de raconter telle ou telle histoire. Je fonctionne beaucoup à l’instinct. Je me projette dans la vie de celles et ceux que je rencontre, leur force, leurs drames. J’ai un penchant naturel à m’attacher à celles et ceux qui surmontent la dureté de leurs vies. J’ai une attirance profonde et une grande admiration pour les combattants qui refusent la fatalité. Je pense à deux phrases qui m’accompagnent souvent : « Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. À te regarder, ils s’habitueront » de René Char, et « il faut avoir du chaos en soi pour mettre au monde une étoile qui danse » de Nietzsche. C’est avec ces mots dans un coin de la tête que je vais filmer « Babouillec », jeune femme autrice, artiste et autiste [Dernières nouvelles du Cosmos], mais je retrouve les mêmes ressorts quand je fais le portrait de Jane Campion ou Otar Iosseliani. Ce sont des artistes en lutte. Jane Campion, la Femme Cinéma, a imposé son talent dans un cinéma encore largement dominé par les hommes. Iosseliani a secoué les codes dans un univers (l’URSS) qui laissait si peu de place à la fantaisie. Ils combattent les démons de leur temps. Sans parler des drames intimes qui nous traversent nous font grandir et changent notre regard sur le monde. Regarder ces gens vivre, partager du temps avec eux, m’aide dans ma vie de tous les jours et surtout, conforte ma confiance dans l’humanité.

Je m’évertue à filmer mes « personnages » sous différents angles. Chacun se construit par son activité, dans son travail, mais également dans ses relations avec les autres, dans sa vie sociale, familiale, intime. J’essaie de donner par petites touches, avec douceur, un éclairage sur chacun de ces aspects. Qu’est-ce qu’on montre de soi, qu’est-ce que l’on tient à cacher et pourquoi. En situation de travail, on se pose moins de question, on est dans l’action et c’est souvent là que j’aime saisir des moments que je considère comme des moments de vérité.

Observer la vie de mon prochain et la livrer au regard des autres, cela induit une forte responsabilité. Bien entendu, j’ai mes propres convictions et elles s’expriment dans ce que je filme. Comme je le disais précédemment, je préfère moi aussi être dans l’action, je m’y accomplis davantage que dans le discours. Je pense (j’espère !) que mes films témoignent de ma vision du monde, de ma foi en l’humanité mais aussi de mon aversion pour l’oppression sous toutes ses formes, et de mon ardent désir de liberté. En tant que femme, que cinéaste, je tiens par-dessus tout à cette liberté. Et je me dis que c’est une forme de pensée politique. En tout cas, engagée.

Vous me demandez quel serait mon pire cauchemar ? Ce serait de perdre mes sens (j’aime tellement regarder, sentir, écouter, goûter et toucher), de perdre mon père (il est mort en 2014), de devoir m’exiler, de vivre la guerre, de m’échiner dans un travail sans saveur purement alimentaire, avoir un patron. Bref, tout ce qui pourrait restreindre ma liberté.